La technique revêt d'innombrables trésors graphiques et plastiques. La logique de conception dite scientifique fait émerger un lexique formel éloigné de notre quotidien. Benedict Redgrove, photographe, au travers de son travail, nous emmène dans les coulisses des agences spatiales mondiales et nous livre par la même sa vision des liens qu’entretiennent technique et esthétique.
J'ai grandi sous l'influence des films de science-fiction et de tout ce qui a trait à l'espace et à l'exploration. J'ai eu une éducation très visuelle qui a guidé ma façon de voir le monde. Mon premier souvenir c’est celui d'un homme marchant sur la lune : je pense que cette image a été un marqueur tout au long de ma vie. Le sens de l'exploration spatial combiné à la technologie sont des aspects incroyablement excitants pour moi.
La technologie est une chose merveilleuse. Quand on commence à s'intéresser aux détails des robots chirurgicaux, de l'avionique, de la microélectronique, des accélérateurs de particules ou des miroirs de télescopes spatiaux, je ne peux m'empêcher d’être totalement captivé et époustouflé par le champ des possibles que convoque la technologie aujourd’hui.
Ce que nous, en tant qu'humains, sommes capables de construire pour approfondir notre connaissance de l'univers et de la place que nous y occupons n'est limité que par notre compréhension du moment présent. Nous nous développons à une vitesse étonnante, grâce à notre curiosité et à notre capacité à concevoir une technologie qui nous permettra de passer aux étapes suivantes.
Les sujets que je traite (robotique, avionique, microélectronique) ont des origines différentes, mais partagent tous le thème de l’exploration et de la découverte. Certains sont exclusivement esthétiques : ils se résument à l'embellissement de la pureté de l'objet, en particulier dans le cas des moteurs d'avions. Ils sont l'incarnation du design fonctionnel : leur esthétique n’est pas la raison de leur présence. Ce sont la quête des formes et matériaux les plus pertinents qui guide la conception d’une pièce afin qu’elle fonctionne à son plus haut niveau possible. Cette quête d’optimisation explique pour moi la beauté des objets techniques.
Cette notion d’optimisation est très forte avec des projets que j’ai mené avec la NASA. Les objets ont été photographiés et montrés de manière à ce que le spectateur puisse les voir en détail. Ces photos sur fond blanc permettent au public de prendre son temps, sans être gêné par d'autres objets ou son environnement. Je veux que le spectateur se concentre sur le design, les matériaux et commence à réaliser à quel point chacun de ces objets est extraordinaire.
Je compare ma première expérience avec la navette spatiale Atlantis à celle d'un disciple qui entre dans une cathédrale pour la première fois afin d’y rencontrer son idole. Ce sentiment d'émerveillement et d'admiration débordante était si grand que j'en tremblais presque. Je veux que les spectateurs vivent la même expérience lorsqu'ils verront ces images de près dans l'exposition que je suis en train de concevoir. Je l'ai conçue pour que le public puisse vivre une suite d’émotions dans différentes salles présentant des univers inhabituels, à la fois émotionnels et visuels. De la même façon que l'église attire les hommes et les femmes de notre planète, la science est ma religion. C’est ce en quoi je crois : ses objets sont mes calices, mes artefacts.
Un autre exemple. Les télescopes sont d'énormes objets qui scrutent l'univers en remontant dans le temps par l’emploi de technologies incroyables. En créant une latence de quelques centièmes de seconde entre chaque prise de vue, on obtient plusieurs images avec des focalisations différentes qui permettent, à la fin, d’être assemblées en une seule image de meilleure définition. Ces géants qui vivent dans la région la plus sèche de la planète forment une petite ville, remplie d'ingénieurs, de physiciens, de techniciens et de scientifiques du monde entier. Ils mangent, dorment et travaillent dans un environnement contrôlé et se concentrent uniquement sur leurs projets. Ces machines sont dédiées à des programmes macroscopiques : celles de l’infiniment grand. Elles sont construites morceaux par morceaux spécialement pour cet environnement et afin d’y effectuer des tâches incroyablement précises. Je trouve cela fascinant. Ce niveau de concentration, dont le résultat final est parfois négatif, les oblige à recommencer ou à réfuter une théorie sur laquelle ils travaillent depuis des années, voire des décennies. Je pense que ce sont ces micro-détails dans les systèmes, les machines, les lieux, les textures et dans la mécanique qui m’attirent et que je porte par la photographie. Tout cela résonne en moi.
Nous vivons une période de développement exceptionnelle avec l'exploration spatiale, la robotique, l'IA et la naissance de l'informatique quantique. Notre compréhension de l’univers et de la place que nous y occupons s'accroît au moment même où nous commençons à développer de nouvelles technologies intelligentes qui penseront par elles-mêmes. Je pense qu'aucun d'entre nous ne sait vraiment comment les ordinateurs quantiques pourront nous aider et quelles seront les conséquences de leurs développements. Je parlais récemment à un éminent physicien de l'ESA (Agence Spatiale Européenne) à ce propos ainsi que de la matière noire. Nous en avons conclu à partir de ce que nous savons et de ce que nous allons apprendre qu’un certain nombre de scénarios tels que le voyage dans l'espace et le temps semblent de plus en plus probables. Ce que nous ne savons pas est tout aussi passionnant, voire plus, que ce que nous savons. Mon travail s'oriente vers un domaine qui lie recherche, humanité, univers et technologie comme des moyens de comprendre notre passé et d’orienter notre futur.
Je me vois dans le rôle de voyeur, d'admirateur, d'étudiant éternel. Il sera intéressant de voir comment mon travail s'adaptera et se développera pour correspondre aux médias et aux techniques qui seront disponibles dans le futur. J'attends avec impatience que l'holographie et les expositions en trois dimensions puissent être réalisées avec des capacités de transmission haptique et émotionnelle. Ce serait une façon de relier réellement mes sentiments au spectateur.
Pour mon exposition, je voulais que les fichiers soient aussi précis que possible afin de pouvoir faire des tirages à très grande échelle. La photo d’un astronaute sera tirée sur un format de 200 cm par 280 cm. L'idée est qu'il ressemble à un Dieu : sa combinaison spatiale lui permettant d’endosser le rôle d'icône. C’est pour moi un exemple technique parfait : il faut un humain pour qu'elle fonctionne et ce dernier ne peut pas vivre sans elle dans un environnement hostile. Ils deviennent symbiotiques, c'est l'objet le plus excitant que j'ai photographié : humain et technique fusionnent en une entité, tout en étant à la fois très différents.
Dans la plupart des cas, en particulier pour les objets de grande taille, je planifie la prise de vue à l'avance. Je sais ce que je veux montrer, ce à quoi cela doit ressembler, mais aussi les sensations que la photo doit faire naître. Ce processus peut être assez complexe. D'un point de vue technique, j'utilise un appareil photo Alpa ou Phase. L'Alpa a un fonctionnement entièrement manuel. Vous devez armer l'obturateur et mettre au point les différents points et distances pour obtenir une image. Le dos numérique de l’appareil se déplace sur un axe X/Y permettant de faire cette mise au point. Pour réaliser les images de la navette spatiale Atlantis, j'ai pris plus de 60 poses pour former une seule image. Cela permet de s'assurer que le niveau de détail est suffisant pour l’imprimer sur un format de 300 cm par 240 cm.
Il y a des moments où la technologie me procure de la joie, mais également des moments où je veux y échapper, comme la plupart des gens probablement. Les moments où je m’en éloigne sont libérateurs et me permettent de respirer, de m'arrêter et de profiter de la nature. Ensuite, je peux retourner à mon travail et retourner de nouveau à la technologie. Cela a une grande influence sur mon travail et sur ma façon de travailler. Ces aller-retours sont une partie importante de ma pratique.
J'aime la technologie et l'ingénierie depuis mon enfance. J'apprécie le good design et le design utilitaire. La technologie et l'ingénierie me parlent, elles résonnent en moi d'une manière qui m'apporte une énorme satisfaction, presque aussi apaisante qu'excitante. Cela m'a permis de découvrir des domaines scientifiques, des gens, et de saisir des opportunités inattendues. La photo fait partie de ma vie, elle m’apporte du bonheur, de la joie, de l'excitation et de l'émerveillement. Le revers de la médaille est le stress et l’anxiété générées, mais je suis prêt à les supporter pour toute la joie que la technologie me procure. Au fur et à mesure que mon travail progresse, de nouvelles technologies s'ouvrent à moi. J'ai l'impression que même si je regarde vers l'avenir avec celles-ci, cela me fait apprécier d'où nous venons, ce que nous avons appris non seulement sur l'univers mais aussi sur nous en tant qu'êtres humains.